Syndicat des chargés de cours de l'UQTR

Section locale 2661

Nouvelles

L’arrivée du syndicalisme au Québec

Texte de Élodie Grenon.

De la fête du Travail à l’assurance maladie, du congé de maternité à la semaine de travail de 40 heures, les acquis du syndicalisme se vivent quotidiennement mais demeurent parfois méconnus. Pourtant, le mouvement syndical s’est comporté plus d’une fois comme un groupe de pression, cherchant à réformer la société pour mettre de l’avant la justice sociale et la démocratie. Et au cœur de l’action syndicale se trouve le pouvoir collectif des travailleurs. Une force incroyable qui, malheureusement, trop souvent se sous-estime.

À l’heure où la syndicalisation au Québec a atteint un stade de maturité, il est opportun de faire un retour sur son influence sur la société. Dans cette série de quatre textes, publiés à l’automne 2023 et à l’hiver 2024, il sera question de l’histoire du mouvement syndical au Québec et, aussi, des apports de ce mouvement pour les non-syndiqués.

Dans ce premier texte, les débuts de la syndicalisation en Amérique du Nord sont abordés sous l’angle de la reconnaissance juridique, de l’influence des États-Unis et des mécanismes mis en place pour orienter les politiques.

À noter que si l’on parle de syndicalisme, on ne peut taire la contribution exceptionnelle de Jacques Rouillard, professeur de l’Université de Montréal et historien spécialisé en syndicalisme. Son travail acharné et ses nombreuses publications, en particulier son livre Le Syndicalisme québécois: deux siècles d’histoire (publié aux éditions Boréal), furent une source d’inspiration importante.

L’organisation des travailleurs

À l’époque de la Nouvelle-France, les artisans se regroupent de façon ponctuelle et souvent sous le couvert de motifs religieux (Rouillard, 2004a). La mobilisation des travailleurs, comme celle des ouvriers des Forges du Saint-Maurice, se fait tout de même assez rare. Plus tard, au Canada, des traces d’une Fraternité de charpentiers apparaissent dès 1798 à Halifax, en Nouvelle-Écosse (Forsey, 1965). Aux États-Unis, on remarque les premiers trade unions dès 1803, dont, notamment, les charpentiers de navires à New York (Finance, 1894).

À l’époque, les ouvriers qualifiés se regroupent principalement sous forme de coopérative d’entraide. La première association ouvrière au Québec, la Société amicale de charpentiers et de menuisiers de Montréal mentionnée dans les journaux en 1818, visait alors à vendre la force de travail de ses membres à un taux fixe (Rouillard, 2004a). Ainsi, la qualification de certains travailleurs est utilisée comme levier face aux patrons. Néanmoins, le mouvement est plutôt faible et les grèves demeurent généralement inefficaces. Cette situation n’est probablement pas étrangère à l’absence de liens entre les différentes organisations de la province ou encore entre celles situées dans une même ville. De plus, l’économie du Québec reposant principalement sur l’agriculture, la proportion de travailleurs salariés est faible (Rouillard, 2004a).

Il faudra attendre le XIXe siècle et l’avancée de l’industrialisation en Amérique du Nord pour apercevoir les premières véritables tentatives de syndicalisation. C’est face à la dégradation des conditions de travail, l’arrivée massive des usines et l’urbanisation croissante, que les travailleurs prennent conscience de l’importance d’être solidaires et de se mobiliser.

L’influence américaine

Aux États-Unis, un tournant survient quand un jugement de 1842 déclare que les syndicats légaux utilisant des méthodes légales sont légitimes (Wikipedia). Le mouvement connaît alors une progression rapide, progression qui atteindra le Québec. Notre Province accueillera son premier syndicat international en 1860 (Rouillard, 2004a). Les syndicats internationaux ont comme particularités de rassembler leurs membres par métier, ce qui augmente leur rapport de force face à un large éventail d’employeurs. Cette impulsion américaine dominera les deux tiers du paysage syndical canadien jusqu’aux années 1960 (Rouillard, 2004b). Selon l’historien Jacques Rouillard, cette dépendance envers le syndicalisme d’un autre pays serait unique parmi les pays industrialisés.

Au Canada, la volonté des travailleurs d’améliorer leurs conditions de travail se fait de plus en plus sentir, notamment afin d’obtenir des journées de travail plus courtes. Après l’arrestation d’une vingtaine de chefs syndicaux en 1872, des manifestations importantes surviennent à Toronto. Le premier ministre canadien John A. Macdonald instaure alors une loi mettant fin à l’application d’autres lois qui étaient parfois utilisées pour freiner le mouvement syndical. Bien qu’il reste encore du chemin à parcourir, cette loi instaure directement le droit à la négociation collective et indirectement, le droit de grève (Rouillard, 2004a). Peu à peu, des contrats de travail écrits commencent à être utilisés.

Autre apport important incluant aussi les non-syndiqués, la fête du Travail fait son chemin en Amérique du Nord. C’’est en 1882, à New York, qu’émerge l’idée d’un défilé célébrant les travailleurs syndiqués. Contrairement à son pendant européen, la fête du Travail est célébrée le premier lundi de septembre au lieu du 1er mai. Selon Rouillard, cette date aurait été choisie, car elle apparaît dans une période de l’année sans aucun jour férié et que la météo de New York est particulièrement clémente à ce moment !

Au Québec, le premier défilé a lieu à Montréal en 1886, grâce à l’Union des cigariers (Rouillard, 2010). Cet événement est alors vu par les syndiqués comme une occasion de « manifester symboliquement la fierté de leur travail, la force du syndicalisme et leur identité comme classe sociale » (Rouillard, 2010). Rapidement, le défilé de Montréal gagne en popularité et prend même plus d’ampleur que celui de la Saint-Jean ! Sous l’impulsion des syndicats, c’est en 1894 que le gouvernement fédéral déclare officiellement cette journée fériée. Le gouvernement du Québec fera de même cinq ans plus tard, retardant ainsi la rentrée scolaire. Ainsi, tous les travailleurs, qu’ils soient syndiqués ou non, peuvent en profiter.

Un impact politique grandissant

À la fin du XIXe siècle, les apports pour les non-syndiqués commencent à se concrétiser. Les syndicats sont de plus en plus intéressés à partager leurs gains avec l’ensemble de la société. Pour ce faire, ils se dotent notamment de structures visant à influencer les différents paliers gouvernementaux et à leur transmettre leurs recommandations. Parmi ces revendications, on y retrouve l’implantation d’un filet social et de mesures touchant la démocratie, l’immigration, les services publics et le développement des transports en commun (Rouillard, 2004a). Bref, on demande une intervention plus prononcée de l’État avec des effets qui touchent l’ensemble de la société.

Mais ces avancées sont difficiles et jalonnées de nombreux conflits de travail. Entre les années 1880 et 1900, pas moins de 200 arrêts de travail sont dénombrés dans le secteur manufacturier, dont plus du quart survenant entre 1898 et 1900 (Rouillard, 2004a). On estime que 80 % de ces conflits auraient eu comme théâtre la ville de Montréal (Rouillard, 2004a), une tendance qui se poursuivra dans les décennies suivantes.

Références

Commonwealth v. Hunt. https://en.wikipedia.org/wiki/Commonwealth_v._Hunt

Finance, I. (1894). Les syndicats ouvriers aux États-Unis. Paris, Imprimerie nationale.

Forsey Eugène. (1965). Insights into Labour History in Canada. Relations Industrielles, 20(3), 445–477.

Rouillard, J. (2004a). Le Syndicalisme québécois: deux siècles d’histoire. Éditions du Boréal.

Rouillard, J. (2004b). Les déboires du syndicalisme nord-américain (1960-2003). Pourquoi le mouvement syndical canadien se tire-t-il mieux d’affaires que celui des États-Unis. Bulletin du Regroupement des chercheurs et chercheures en histoire des travailleurs et travailleuse du Québec, 30(1), 79.

Rouillard, J. (2010). La fête du Travail à Montréal le premier lundi de septembre, symbole de l’affirmation de la classe ouvrière dans l’espace public (1886-1952). Revue d’histoire de l’Amérique française, 64(2), 33–73.

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