Le projet de loi 89
Un projet de loi qui fait grand bruit. Vous connaissez?
Beaucoup de bruit autour de ce projet de loi, encore plus ici en Mauricie, Jean Boulet étant député de Trois-Rivières à l’Assemblée nationale.
Le projet de loi 89 (PL89), déposé par le ministre Boulet (Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out), prévoit à la fois la restriction du droit de grève et de lock-out, et étend la portée de ces restrictions en retirant le concept de « services essentiels » au profit de celui de « maintien des services assurant le bien-être de la population ».[1]
Ce projet de loi rend les syndicats furieux (CSQ, CSN, FTQ et leurs affiliés) car il compromet un des leviers les plus importants pour améliorer les conditions de travail. La FTQ veut son retrait et suit à la trace le Ministre pour organiser des manifestations sur les lieux où il se rend. Pour la CSN, ce projet de loi est une attaque contre la classe ouvrière qui, selon Caroline Senneville, présidente de la CSN, est créée par les patrons alors que les syndicats aspirent à créer la classe moyenne. Du côté du SCFP, notre syndicat d’appartenance, un communiqué de presse envoyé le 19 février dernier mentionne « qu’il n’hésitera pas à utiliser tous les moyens nécessaires, y compris les recours juridiques, pour défendre ce droit fondamental ».
Limitation du droit de grève
Si le projet de loi est adopté, le gouvernement aura le pouvoir de :
- décréter qu’une association accréditée (syndicat) et un employeur sont déférés au Tribunal administratif du travail (TAT) qui pourra juger si les services assurant le bien-être de la population doivent être maintenus en cas de grève ou de lock-out;
- octroyer au TAT la responsabilité d’ordonner le maintien, pendant les négociations, des services assurant le bien-être de la population, à la demande de l’une des parties désignées par le décret (syndicat ou employeur);
- donner au Ministre la possibilité de mettre fin à une grève ou à un lockout en demandant à un arbitre de déterminer les conditions de travail.
Autre point :
« Le projet de loi oblige l’association accréditée et l’employeur visés par une décision ordonnant le maintien de services assurant le bien-être de la population en cas de grève ou de lockout à négocier de tels services dans les 15 jours suivant la notification de cette décision. »
Les négos durent habituellement beaucoup plus de 15 jours. À toutes fins pratiques, cela limite le droit de grève pendant les négos (sauf pour les 15 premiers jours d’une grève), car il reste le risque que l’ordonnance du TAT pourrait survenir tôt au début des négociations. Rendre possible la limitation après 15 jours pour la durée d’une grève, ce n’est pas vraiment donner une chance aux négos. C’est un beau cadeau pour le patronat toutefois : tout devient prévisible, limité, encadré.
Ce qui est vraiment ciblé par ce projet de loi, c’est la légitimité et la limitation du droit de grève comme moyen de pression. Cette limitation est ordonnée et encadrée par le TAT, à la demande d’une des deux parties désignées par le décret du Ministre ciblant le syndicat et l’employeur en cause.
Donc le Ministre interviendrait directement dans les conflits de travail, entravant le processus de négociation, et une fois le dossier rendu au TAT, devinez laquelle des deux parties, syndicat ou employeur, fera le plus de demandes pour limiter le droit de grève? Certainement pas les syndicats ! Pour l’année 2024, il y a eu 285 grèves et 16 lock-outs (dont 13 grèves et lock-outs simultanés). Parmi tous les arrêts de travail, 196 étaient dans le secteur privé et 193 de ceux-ci étaient des grèves.[2]
Changement de paradigme
Le projet de loi prévoit aussi ceci :
« Il modifie le nom de la division des services essentiels du Tribunal et lui attribue le mandat d’instruire les affaires concernant les services assurant le bien-être de la population. »
La notion de services essentiels a définitivement une connotation de « minimalement nécessaire ». Selon le TAT, les services essentiels constituent une restriction au droit de grève qui ne peut se justifier constitutionnellement que si elle porte atteinte le moins possible à ce droit. Parler de besoins de la population et du maintien du bien-être de la population en cas de grève ou de lock-out semble s’éloigner considérablement de la notion de ce qui est essentiel.
Il s’agit d’un changement de paradigme majeur qui redéfinit complètement la grille d’analyse de l’évaluation de l’impact d’une grève. Ce qui est minimalement nécessaire devient ce qui correspond aux besoins et au bien-être de la population. On sent bien un choix de mots politique et astucieux : qui peut être contre la satisfaction des besoins de la population? Si le projet de loi est adopté, il y aura certainement des contestations et il appartiendra aux Tribunaux de clarifier cet aspect.
Le projet de loi prévoit aussi la suspension du droit de grève dans des circonstances exceptionnelles. L’interprétation même de l’expression « circonstances exceptionnelles » pourrait aussi être affectée par ce changement de paradigme. Démontrer que des circonstances sont suffisamment exceptionnelles pour retirer un droit de grève au regard du maintien du bien-être et des besoins de la population n’est possiblement pas aussi exigent que de faire cette démonstration au regard de la notion de services essentiels.
S’en prendre au droit de grève, c’est compromettre inutilement un rapport de force déjà fragile qui protège les travailleurs et améliore leurs conditions de travail. Il continuera à y avoir du bruit autour du
[1] https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-89-43-1.html
[2] https://www.travail.gouv.qc.ca/relations-du-travail/greves-et-lock-out-en-cours/